L’amitié franco-luxembourgeoise mise à l’honneur Visite de la Grande-Duchesse Charlotte à Thionville le 15 février 1920

Fonds luxembourgeois

Stéphanie Kovacs

L’amitié franco-luxembourgeoise s’inscrit dans une longue histoire de relations et d’échanges entre les deux pays, dont les prémisses remontent à l’époque des comtes du Luxembourg au Moyen-âge.

L’histoire de ces relations est ponctuée de nombreux soubresauts, au gré des changements de statut politique que connaît le Luxembourg du 16e au 19e siècle, de Duché au statut de département français, en passant par l’accession au statut d’État indépendant.

Renouveau des relations franco-luxembourgeoises après 1918

Notre document, une circulaire adressée aux bourgmestres du district de Grevenmacher en 1920, présente un intérêt certain pour le renouveau que connaissent les relations franco-luxembourgeoises au lendemain de la Première Guerre mondiale. Celles-ci ont été quelque peu mises à mal durant le conflit : en effet, les Alliés, et plus particulièrement l’allié français, reprochent à la souveraine Marie-Adélaïde sa prétendue bienveillance vis-à-vis de l’occupant allemand. La rancœur est telle que l’on frôle l’incident diplomatique : on se remémorera à ce propos l’épisode du 23 décembre 1918, où Stephen Pichon, Ministre français des Affaires étrangères, refuse de recevoir à Paris la délégation luxembourgeoise emmenée par Emile Reuter, venu plaider la cause du pays. Le gouvernement français refuse en effet de reconnaître un gouvernement nommé par la Grande-duchesse. La situation est d’autant plus explosive que l’avenir du pays est en jeu, dont le maintien ou non comme État indépendant fait l’objet, dès le début de la guerre, de tractations secrètes entre la Belgique et la France : la Belgique a des prétentions sur le Luxembourg et refuse dès lors de reconnaitre Charlotte comme grande-duchesse, la France soutient le point de vue belge.

L’issue du double référendum, sur l’avenir politique et économique du Luxembourg, de septembre 1919 ayant réglé en quelque sorte la « question luxembourgeoise », c’est donc probablement dans un geste d’apaisement que le Président de la République Raymond Poincaré choisit d’inviter la Grande-Duchesse Charlotte à assister à la cérémonie de remise des insignes de la Légion d’honneur à Thionville. La France abandonne ainsi son attitude réservée à l’égard de Charlotte de janvier 1919, lorsque celle-ci a succédé à sa sœur Marie-Adélaïde qui venait d’abdiquer. La cérémonie est prévue le 15 février 1920.

Des festivités placées sous le signe de la concorde retrouvée entre la France et le Luxembourg

Comme toujours, l’organisation d’un tel événement exige d’importants préparatifs en amont. C’est dans ce contexte que s’inscrit la publication et l’expédition de ce courrier-type daté du 12 février 1920, à destination des bourgmestres du district de Grevenmacher. Élaborée par les Commissaires de District François Mersch et Léon Schaack, le courrier invite les bourgmestres de tout le District, en même temps que les associations et les clubs de leurs communes respectives, à prendre part à la cérémonie de Thionville.

Le jour J, à la Gare de Luxembourg, un convoi spécial d’une vingtaine de wagons se met en marche en direction de la Gare de Thionville. Le couple grand-ducal a pris place à bord du wagon-salon, accompagné e.a. du Président du Gouvernement Emile Reuter et d’Armand Mollard, ministre plénipotentiaire et ambassadeur de France au Luxembourg. Le restant de la délégation, composée des bourgmestres et des membres des associations, se répartit dans les wagons restants du convoi.

Le convoi grand-ducal entre ainsi en Gare de Thionville aux alentours de 10.55 heures, soit 25 minutes après celui du Président Poincaré. Celui-ci accueille en personne la Grande-Duchesse à sa sortie du wagon-salon. Relevons que la délégation accompagnant le Président comprend un certain Robert Schuman, alors député de Lorraine et futur père de l’Europe.

Une foule en liesse – parmi lesquels de nombreux Luxembourgeois – se presse le long du cortège qui doit emmener le Président et la Grande-Duchesse de la Gare à l’Hôtel de Ville de Thionville. La cérémonie de remise de la Légion d’Honneur est suivie d’un banquet. Assurément, c’est un jour historique pour Thionville, ville mosellane par excellence. Par ce geste, Poincaré souhaite réconcilier les Mosellans avec l’État français. Ces derniers sont encore considérés en 1918 avec suspicion du fait du rattachement de l’Alsace-Lorraine à l’Empire allemand de 1871 à 1914 : Robert Schuman négocie l’intégration de la Lorraine dans la République française moyennant la préservation de certains acquis de l’époque allemande (sécurité sociale, relations Eglise-Etat).

Si Thionville peut se targuer de faire partie des 64 communes françaises à avoir été décorées de la Légion d’honneur, la médaille semble en revanche avoir fait les frais des affres de l’Histoire : la pièce originale demeure introuvable à ce jour… Ce n’est qu’en 2016 que les archivistes de la municipalité de Thionville s’aperçoivent de sa disparition : a-t-elle été subtilisée ou a-t-elle disparu lors de inondations ? Nul ne le sait. Une nouvelle médaille remplace depuis la pièce originale de 1920…

Paru dans Die Warte, 14 mars 2024.

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